Autisme et musique avec la compagnie Turbulences !
La compagnie Turbulences ! propose aux jeunes autistes, psychotiques, au personnel soignant, éducatif et à des artistes de créer des spectacles en commun. Un travail joyeux qui permet la rencontre entre l’autisme et le milieu ordinaire
Studio bleu à Paris. Un studio d’enregistrement où répète la compagnie Turbulences ! [3] Filage avant de se produire le lendemain à Chalon-sur-Saône dans le cadre d’une action menée par l’association Apai et le surlendemain sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour les journées de l’autisme. La compagnie Turbulences ! rassemble 30 jeunes autistes et psychotiques âgés de 16 à 30 ans. Ces jeunes sont accueillis dans trois hôpitaux de jour, trois instituts médico-éducatifs, un foyer et deux centres d’aide par le travail ou encore sans structure d’accueil. Les membres du personnel soignant et éducatif et un réseau d’artistes complètent la troupe.
Aujourd’hui, les jeunes arrivent par petits groupes, accompagnés de leurs éducateurs ou d’un parent. Retrouvailles avec les amis, effusions, joie. Cet après-midi ils chantent avec la chorale des Sept Tempêtes et le groupe Les Secrets de Diego. Une chorale et un groupe de musiciens du « milieu ordinaire » car, depuis douze ans, le grand pari de la compagnie Turbulences ! est de mélanger jeunes, soignants, éducateurs et artistes pour créer des spectacles en commun.
Un grand groupe se forme et chacun prend sa place, se concentre, échauffe sa voix, réalise quelques vocalises, sous la houlette de Marjolaine Ott, chef de chœur de la chorale des Sept Tempêtes. La jeune femme brune frappe un petit coup avec le diapason sur sa jambe, le porte à son oreille, donne le ton. Concentration, discipline, chants de sons plus que de paroles et même canons impeccables. « Impressionnant pour une première fois et pour des jeunes qui ont peur du changement », souffle un membre de la chorale. Le groupe chante ensuite un très beau chant géorgien et finit par « Couleur café », de Serge Gainsbourg. Les yeux brillent. L’énergie et la joie circulent.
Les jeunes répètent maintenant avec Les Secrets de Diego, un groupe de chanson rock. Ces musiciens se produisent sur scène dans le cadre des journées de l’autisme et ont invité les Turbulents à se joindre à eux pour une chanson « La maison de rêve ». Ils ont déjà répété ensemble quelques fois. Une batteuse, un guitariste, un pianiste, un bassiste et Élie Abécéra le chanteur du groupe se mettent en place. La chanson parle d’un rêve, Élie Abécéra incite chacun à chanter doucement, justement parce qu’il s’agit d’un rêve. « Faut pas réveiller les voisins », illustre une jeune femme autiste pour préciser le message. « Faut pas réveiller le bébé », enchaîne une autre. En arc de cercle, face aux musiciens, les jeunes répètent le refrain une bonne quinzaine de fois. « Elle rêve d’une maison/toujours de ça elle rêve/d’une maison sans raison/dans un jardin anglais », chante Élie Abécéra en montrant dans un joli ballet de mains les différentes tonalités. Il veut un résultat impeccable et chacun se plie sans broncher à cette exigence. Au bout d’une heure, Samir réclame une petite récréation pour chanter « Billie Jeane » de Mickael Jackson, que tout le monde reprend en chœur, en dansant. Cela fait beaucoup rire la jeune Patricia qui confie que personnellement, elle « préfère nettement Hélène Ségara », dont elle connaît « toutes les chansons par cœur » Après cette pause défouloir, la répétition reprend dans la plus grande concentration. Élie Abécéra semble ravi de la séance. « Je suis très touché par le travail de la compagnie Turbulences ! », confie-t-il. « C’est très émouvant de chanter avec eux et en fait très facile, très naturel, on ne se pose pas de question. C’est important de faire des choses ensemble. Il n’existe presque pas de structures pour les personnes autistes, les malades sont quasiment cachés, ils font peur. La compagnie Turbulences ! leur permet de rencontrer les autres ».
Pour la réalisation du projet artistique de la compagnie, les jeunes suivent plusieurs ateliers animés par des professionnels de haut niveau : chant, tai-chi, capoeira (danse de combat brésilienne), batucada (percussions brésiliennes), théâtre, pratique instrumentale (percussions, piano). Turbulences ! a déjà joué dans de nombreux théâtres et festivals, notamment à Avignon et lors des rencontres polyphoniques de Calvi.
Il y a 20 ans, Philippe Duban, le créateur de la compagnie, rencontre Howard Buten, psychologue clinicien, spécialiste des personnes autistes, clown et musicien. Alors tout jeune comédien, Philippe Duban, vient d’un théâtre militant du nord de la France. « Je souhaitais confronter l’outil théâtral à un projet artistique avec une vocation sociale et politique, impliqué dans la vie de la cité », évoque-t-il. Il travaille quelque temps avec Howard Buten et en 1991, Moïse Assouline, psychiatre à l’hôpital Santos Dumont (Paris), lui propose d’animer un atelier de théâtre pour les jeunes autistes et psychotiques qui connaissent les institutions depuis plusieurs années, de créer des passerelles vers le milieu ordinaire, mettre en lien les jeunes avec un réseau d’artistes professionnels, monter des spectacles et les produire tant en France qu’à l’étranger. « Nous ne cherchons pas à réaliser un travail thérapeutique auprès de ces jeunes, même si ce travail a effectivement des incidences thérapeutiques. Notre souhait principal est leur rencontre avec le milieu ordinaire par la médiation artistique », précise le créateur. Le chant s’impose vite en parallèle au théâtre. « Dans le groupe, neuf nationalités différentes sont représentées. Nous avons choisi le chant des pays du monde qui ne nécessite ni connaissance du solfège ni maîtrise parfaite du langage. Chanter des airs de leur pays d’origine est très porteur pour ces jeunes ». Puis Philippe Duban a introduit d’autres disciplines complémentaires au travail du théâtre et de la voix, comme le tai-chi. « Lors d’un voyage en Chine, j’ai vu toute la population, toutes tranches d’âges confondues, pratiquer cette gymnastique très lente le matin en plein air. J’ai proposé des ateliers de tai-chi aux jeunes car cette discipline permet un travail sur le corps simple basé sur le copiage des gestes et mouvements. Elle aide à relâcher les tensions musculaires et à gagner en fluidité ».
Qu’apportent les différents ateliers aux jeunes ? « La rencontre entre eux. Ils sont très heureux de retrouver leurs amis des autres institutions à chaque atelier. Contrairement à ce qu’on peut penser parfois de l’autisme, certains jeunes sont très friands de communication. Les ateliers réguliers apportent une forme de continuité, de stabilité dans le travail. Enfin, nos spectacles les amènent à se produire en public et à voyager. Leur goût pour le spectacle et le voyage est très fort ». Le regard des jeunes sur eux-mêmes change : « Je crois qu’ils éprouvent une forme de valorisation, ils marquent à l’évidence une grande sensibilité aux applaudissements… », remarque Philippe Duban. Le regard des travailleurs sociaux aussi se transforme : « les rapports avec les jeunes deviennent transversaux pendant l’atelier le temps d’un apprentissage commun, nourris du même projet à défendre ». Les parents sont, eux, sensibles au regard d’une autre nature porté sur leur enfant : ni compassion, ni pitié, ni rejet. Enfin, le questionnement du public est suscité par le flou sur scène des repères habituels concernant la folie. « Finalement il s’agit plutôt alors d’accepter davantage la ressemblance que la différence ».
Pourquoi ce nom Turbulents ? « Les jeunes de la troupe sont très vivants ! Ils n’hésitent pas à rire et à chanter sans complexe », sourit Philippe Duban. Un mot également riche de symboles culturels. C’est ainsi qu’on nomme certains signes cliniques apparentés à la folie dans des régions d’Afrique. On considère que si l’âme de ces personnes est dérangée c’est parce qu’elle accueille celle de tous les ancêtres. Au Canada aussi le terme « turbulent » est employé à la place du vocabulaire médical. Une autre façon de voir les choses.
Après 12 années d’expérience, Turbulences ! travaille à l’ouverture d’un lieu de vie et de création à Paris avec un centre d’aide par le travail (CAT) et un module section d’adaptation spécialisée (SAS). Philippe Duban nous présente la jeune Valentine. « Elle a l’oreille absolue. Lorsque notre chef de chœur est absent, elle le remplace. Elle n’a même pas besoin de diapason. Nous tenons absolument à ce que cette jeune femme trouve une place de pédagogue dans ce futur centre et qu’elle soit rémunérée pour son travail ».
Le 29 juin 2003, la compagnie s’envole vers Zvénigorod au nord de Moscou pour un spectacle « déambulatoire » qui associe jeunes Turbulents, parents, artistes, musiciens, chanteurs et… chevaux. La vie de Tchekhov sera le guide de cette balade poétique et musicale. « Ses qualités de probité, de modestie, de simplicité, son effort incessant pour s’affiner, se discipliner, son amour de l’autre, sa lutte contre la maladie et les soucis, son engagement comme l’un des premiers défenseurs des droits de l’homme, en font un partenaire privilégié au prolongement de notre aventure humaine ».
Voir article complet ici - Quand la musique fait lien
La compagnie Turbulences ! propose aux jeunes autistes, psychotiques, au personnel soignant, éducatif et à des artistes de créer des spectacles en commun. Un travail joyeux qui permet la rencontre entre l’autisme et le milieu ordinaire
Studio bleu à Paris. Un studio d’enregistrement où répète la compagnie Turbulences ! [3] Filage avant de se produire le lendemain à Chalon-sur-Saône dans le cadre d’une action menée par l’association Apai et le surlendemain sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour les journées de l’autisme. La compagnie Turbulences ! rassemble 30 jeunes autistes et psychotiques âgés de 16 à 30 ans. Ces jeunes sont accueillis dans trois hôpitaux de jour, trois instituts médico-éducatifs, un foyer et deux centres d’aide par le travail ou encore sans structure d’accueil. Les membres du personnel soignant et éducatif et un réseau d’artistes complètent la troupe.
Aujourd’hui, les jeunes arrivent par petits groupes, accompagnés de leurs éducateurs ou d’un parent. Retrouvailles avec les amis, effusions, joie. Cet après-midi ils chantent avec la chorale des Sept Tempêtes et le groupe Les Secrets de Diego. Une chorale et un groupe de musiciens du « milieu ordinaire » car, depuis douze ans, le grand pari de la compagnie Turbulences ! est de mélanger jeunes, soignants, éducateurs et artistes pour créer des spectacles en commun.
Un grand groupe se forme et chacun prend sa place, se concentre, échauffe sa voix, réalise quelques vocalises, sous la houlette de Marjolaine Ott, chef de chœur de la chorale des Sept Tempêtes. La jeune femme brune frappe un petit coup avec le diapason sur sa jambe, le porte à son oreille, donne le ton. Concentration, discipline, chants de sons plus que de paroles et même canons impeccables. « Impressionnant pour une première fois et pour des jeunes qui ont peur du changement », souffle un membre de la chorale. Le groupe chante ensuite un très beau chant géorgien et finit par « Couleur café », de Serge Gainsbourg. Les yeux brillent. L’énergie et la joie circulent.
Les jeunes répètent maintenant avec Les Secrets de Diego, un groupe de chanson rock. Ces musiciens se produisent sur scène dans le cadre des journées de l’autisme et ont invité les Turbulents à se joindre à eux pour une chanson « La maison de rêve ». Ils ont déjà répété ensemble quelques fois. Une batteuse, un guitariste, un pianiste, un bassiste et Élie Abécéra le chanteur du groupe se mettent en place. La chanson parle d’un rêve, Élie Abécéra incite chacun à chanter doucement, justement parce qu’il s’agit d’un rêve. « Faut pas réveiller les voisins », illustre une jeune femme autiste pour préciser le message. « Faut pas réveiller le bébé », enchaîne une autre. En arc de cercle, face aux musiciens, les jeunes répètent le refrain une bonne quinzaine de fois. « Elle rêve d’une maison/toujours de ça elle rêve/d’une maison sans raison/dans un jardin anglais », chante Élie Abécéra en montrant dans un joli ballet de mains les différentes tonalités. Il veut un résultat impeccable et chacun se plie sans broncher à cette exigence. Au bout d’une heure, Samir réclame une petite récréation pour chanter « Billie Jeane » de Mickael Jackson, que tout le monde reprend en chœur, en dansant. Cela fait beaucoup rire la jeune Patricia qui confie que personnellement, elle « préfère nettement Hélène Ségara », dont elle connaît « toutes les chansons par cœur » Après cette pause défouloir, la répétition reprend dans la plus grande concentration. Élie Abécéra semble ravi de la séance. « Je suis très touché par le travail de la compagnie Turbulences ! », confie-t-il. « C’est très émouvant de chanter avec eux et en fait très facile, très naturel, on ne se pose pas de question. C’est important de faire des choses ensemble. Il n’existe presque pas de structures pour les personnes autistes, les malades sont quasiment cachés, ils font peur. La compagnie Turbulences ! leur permet de rencontrer les autres ».
Pour la réalisation du projet artistique de la compagnie, les jeunes suivent plusieurs ateliers animés par des professionnels de haut niveau : chant, tai-chi, capoeira (danse de combat brésilienne), batucada (percussions brésiliennes), théâtre, pratique instrumentale (percussions, piano). Turbulences ! a déjà joué dans de nombreux théâtres et festivals, notamment à Avignon et lors des rencontres polyphoniques de Calvi.
Il y a 20 ans, Philippe Duban, le créateur de la compagnie, rencontre Howard Buten, psychologue clinicien, spécialiste des personnes autistes, clown et musicien. Alors tout jeune comédien, Philippe Duban, vient d’un théâtre militant du nord de la France. « Je souhaitais confronter l’outil théâtral à un projet artistique avec une vocation sociale et politique, impliqué dans la vie de la cité », évoque-t-il. Il travaille quelque temps avec Howard Buten et en 1991, Moïse Assouline, psychiatre à l’hôpital Santos Dumont (Paris), lui propose d’animer un atelier de théâtre pour les jeunes autistes et psychotiques qui connaissent les institutions depuis plusieurs années, de créer des passerelles vers le milieu ordinaire, mettre en lien les jeunes avec un réseau d’artistes professionnels, monter des spectacles et les produire tant en France qu’à l’étranger. « Nous ne cherchons pas à réaliser un travail thérapeutique auprès de ces jeunes, même si ce travail a effectivement des incidences thérapeutiques. Notre souhait principal est leur rencontre avec le milieu ordinaire par la médiation artistique », précise le créateur. Le chant s’impose vite en parallèle au théâtre. « Dans le groupe, neuf nationalités différentes sont représentées. Nous avons choisi le chant des pays du monde qui ne nécessite ni connaissance du solfège ni maîtrise parfaite du langage. Chanter des airs de leur pays d’origine est très porteur pour ces jeunes ». Puis Philippe Duban a introduit d’autres disciplines complémentaires au travail du théâtre et de la voix, comme le tai-chi. « Lors d’un voyage en Chine, j’ai vu toute la population, toutes tranches d’âges confondues, pratiquer cette gymnastique très lente le matin en plein air. J’ai proposé des ateliers de tai-chi aux jeunes car cette discipline permet un travail sur le corps simple basé sur le copiage des gestes et mouvements. Elle aide à relâcher les tensions musculaires et à gagner en fluidité ».
Qu’apportent les différents ateliers aux jeunes ? « La rencontre entre eux. Ils sont très heureux de retrouver leurs amis des autres institutions à chaque atelier. Contrairement à ce qu’on peut penser parfois de l’autisme, certains jeunes sont très friands de communication. Les ateliers réguliers apportent une forme de continuité, de stabilité dans le travail. Enfin, nos spectacles les amènent à se produire en public et à voyager. Leur goût pour le spectacle et le voyage est très fort ». Le regard des jeunes sur eux-mêmes change : « Je crois qu’ils éprouvent une forme de valorisation, ils marquent à l’évidence une grande sensibilité aux applaudissements… », remarque Philippe Duban. Le regard des travailleurs sociaux aussi se transforme : « les rapports avec les jeunes deviennent transversaux pendant l’atelier le temps d’un apprentissage commun, nourris du même projet à défendre ». Les parents sont, eux, sensibles au regard d’une autre nature porté sur leur enfant : ni compassion, ni pitié, ni rejet. Enfin, le questionnement du public est suscité par le flou sur scène des repères habituels concernant la folie. « Finalement il s’agit plutôt alors d’accepter davantage la ressemblance que la différence ».
Pourquoi ce nom Turbulents ? « Les jeunes de la troupe sont très vivants ! Ils n’hésitent pas à rire et à chanter sans complexe », sourit Philippe Duban. Un mot également riche de symboles culturels. C’est ainsi qu’on nomme certains signes cliniques apparentés à la folie dans des régions d’Afrique. On considère que si l’âme de ces personnes est dérangée c’est parce qu’elle accueille celle de tous les ancêtres. Au Canada aussi le terme « turbulent » est employé à la place du vocabulaire médical. Une autre façon de voir les choses.
Après 12 années d’expérience, Turbulences ! travaille à l’ouverture d’un lieu de vie et de création à Paris avec un centre d’aide par le travail (CAT) et un module section d’adaptation spécialisée (SAS). Philippe Duban nous présente la jeune Valentine. « Elle a l’oreille absolue. Lorsque notre chef de chœur est absent, elle le remplace. Elle n’a même pas besoin de diapason. Nous tenons absolument à ce que cette jeune femme trouve une place de pédagogue dans ce futur centre et qu’elle soit rémunérée pour son travail ».
Le 29 juin 2003, la compagnie s’envole vers Zvénigorod au nord de Moscou pour un spectacle « déambulatoire » qui associe jeunes Turbulents, parents, artistes, musiciens, chanteurs et… chevaux. La vie de Tchekhov sera le guide de cette balade poétique et musicale. « Ses qualités de probité, de modestie, de simplicité, son effort incessant pour s’affiner, se discipliner, son amour de l’autre, sa lutte contre la maladie et les soucis, son engagement comme l’un des premiers défenseurs des droits de l’homme, en font un partenaire privilégié au prolongement de notre aventure humaine ».
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